Peut être que j'ai vraiment merdé, quelque part. Peut être que j'ai abandonné l'idée d'essayer de réussir, puisque je savais déjà où ça me menait. Peut être que j'ai oublié les dates, et peut être que j'ai oublié les heures. Mais je n'ai jamais réussi à oublier tout ces moments. Ceux qui m'ont construits, ceux qui m'ont créés. Ceux qui m'ont fait, tel que je le suis. J'ai rêvé d'une vie aux milles couleurs. J'ai rêvé de voyages, j'ai rêvé d'aventures. J'ai rêvé d'histoires, de méchants et de gentils. J'ai rêvé de faire parti de la deuxième équipe. Et j'ai attendu. Oh j'ai attendu. J'ai cru qu'on m'avait oublié, et que tout ce que je vivrais ressemblerait au jour précédent.

Et c'est arrivé. Le grand changement de ma vie, celui qui définirait mon existence. J'aimais être seul. Mais je détestais être isolé. Quand on est seul, on a du temps pour nous même. On a le temps de penser, et de réfléchir. Rien ne peut nous déranger. Quand on est isolés... C'est comme si personne n'était là. Personne n'est là pour nous comprendre, pour nous écouter. C'est comme hurler dans une chambre vide, sans personne pour écouter. Et j'ai fini par trouver, cette personne pour m'entendre. C'était comme dans tous les films. Rien n'aurait pu troubler notre bonheur. Elle s'appelait Mary. J'avais toujours cette impression, avec elle... Comme si tous les soucis n'étaient que passagers. On croyait à nos rêves de jeunes adultes. On était persuadés que tout irait bien que le livre se refermerait sur des mots rassurants.

Malheureusement pour nous deux, le livre ne s'est jamais refermé. Et il a tourné au cauchemar. L'enfer sur Terre.

On est souvent rattrapé par son passé, par les conséquences de ses actions. J'avais appris ça, en tant que flic. Je savais que tout pouvait déraper à n'importe quel instant. On peut croire que tout va bien, et que tout ira bien. Mais ce ne serait que se mentir à soi même. Et les mensonges n'ont jamais été bénéfiques pour l'être humain. J'ai cru pendant plusieurs années au monde idéal que je m'étais créé. Je n'avais pas besoin de la haine ou du mépris. Et quand bien même j'en éprouvais, ces sentiments étaient remplacés par d'autres, beaucoup moins violents et beaucoup plus positifs. Aujourd'hui la haine est tout ce qu'il me reste. J'ai eu du temps pour penser, énormément de temps. Mais à chaque fois, je n'arrive pas à me dire que « ça devait arriver ». Non, ça n'aurait pas dû arriver. Je me sentais coupable. Je me sens toujours coupable. Je crois que c'est peut être une punition. On m'a repris ce que l'on m'avait donné, simplement parce que j'éprouvais des doutes. Les mêmes que j'éprouve encore aujourd'hui. Zooey était la source de tous ceux-là. Et Mary n'en savait rien. Bien sûr que non, je ne l'aurai jamais laissé découvrir ça. Ça l'aurait brisé. Maintenant, que j'en parle librement ou non, ça ne changera rien aux faits : cette dernière n'est plus là pour m'entendre.

On se rappelle souvent de ces jours là, ceux qui marquent nos existences, parce qu'ils sont inoubliables. On se remet en question. Et on se dit qu'on aurait pu marcher plus vite à ce moment là. Ou juste ne pas aller au travail. On regrette des millions de petites choses qui, ensembles, créent un évènement qui nous a déplu. Une histoire triste. Un cauchemar. J'ai cru pendant longtemps qu'en travaillant assez longtemps, et qu'en passant mon temps à bosser, je pourrais l'oublier pour ne plus souffrir. Malheureusement pour moi, le cerveau humain est bien plus complexe que ça. Il dissimule tout, et enfouit nos peurs bien plus profonds que l'on oserait l'imaginer. Une machine bien rodée qui fonctionne depuis la nuit des temps. Les hommes ont étés, et seront toujours dotés d'une conscience. Ce qu'on a vécu forgera toujours ce que nous deviendrons. Je détestais ces certitudes. Parce que je savais que je ne pourrais rien y changer.

C'est parce que je suis resté trop tard au bureau ce soir là. J'aurai dû être là une heure et demi plus tôt. Quand les médecins ont estimés l'heure de la mort, ils ont dit que le meurtre de Mary a été commis à peut près une heure avant que je rentre. J'ai mis des mois à me demander pourquoi. Pourquoi j'ai eu l'idée de rester ? Pourquoi est-ce que j'ai jugé que c'était tellement important ? J'ai cherché des réponses. Mais je n'ai pu retrouver que d'autres questions. Je me suis rendu compte que tout ne tient qu'à un fil. Le fragile équilibre dans lequel nous évoluons n'est qu'un leurre.

Tous les jours, j'ai essayé de revivre. De tout recommencer. Mais je m'enfonçais chaque jour un peu plus dans un gouffre qui n'avait pas de fin. Je tombais, et je tombais de haut. J'ai laissé cette seule enquête définir mon existence. Je ne vivais plus que pour ça. J'ai commencé à boire, pour oublier. J'ai même goûté à la drogue, pour décupler mes facultés. Un monde artificiel. Détruis par mes erreurs. Une fois j'ai lancé mon poing contre un mur. Ça a fini à l'hosto. Je perdais le contrôle. Et aujourd'hui encore, il m'arrive de souhaiter retourner dans cette période où je n'étais pas vraiment conscient de ce qui m'arrivait. Tous les amis que j'avais, ils sont partis, un par un. Il ne restait plus personne de cette époque. Seulement des vagues souvenirs de soirées disparues depuis bien longtemps. Une seule est restée. Zooey. Au début, j'essayais d'oublier Mary à travers elle. Puis les jours ont passées. Les semaines. Les matins où elle est arrivée pour me retrouver allongé à même le sol, parce que j'avais trop bu. Et le sentiment a évolué. Dans quelque chose de plus profond. Je m'en voulais toujours tellement, par apport à Mary. Mais je ne pouvais pas reculer. Plus maintenant. On ne repousse pas l'inévitable.

J'aimerais finir en disant que tout s'est arrangé. Que tout ce qui s'est passé n'est qu'une histoire triste. Et que j'ai fini par retrouver une sorte de bonheur. Un havre de paix. Mais j'ai appris que mentir, ne servait à rien. La vérité revient toujours nous hanter.