Elle a grandi à Boston, dans une famille aisée. Son père, riche entrepreneur, avait fait fortune à la bourse de Wall Street. Sa mère, parfaite petite ménagère, obéissait aux standards de son époque. Le père avait eu un enfant d'un précédent mariage. Un garçon, qui avait déjà seize ans lorsqu'elle vint au monde. Malgré l'aspect énucléé de sa famille, ils s'étaient toujours tous bien entendu. Comment faire autrement quand on ne vit que par des apparences ? Elle ne s'était jamais demandé si sa mère était heureuse. Mais elle souriait. Et aujourd'hui, elle souriait comme elle, et elle comprenait que ça ne voulait rien dire, que ça n'était qu'une ride sur un visage, que ça n'était qu'une illusion à laquelle on se fiait bien trop souvent.

Lorsque la Seconde guerre mondiale éclata, son père et son frère furent mobilisés. Seulement l'un d'entre eux rentra au pays. Le frère avait péri au front. Dès lors, sa mère sombra dans un chagrin que rien ne put jamais effacer. Quant au père, il reste quasi muet. Comme si la perte et la vision de l'horreur lui avaient volé son âme. La maison était silencieuse, comme la mort. C'est pourquoi Zooey s'attacha à satisfaire ses parents par tous les moyens. Les rendre heureux était son vœux le plus cher.

Elle était une élève brillante. Elle travaillait dur. Jamais elle ne se décourageait. Toujours elle persévérait. Ses efforts ont fini par payer puisqu'elle fut admise à l'université où elle étudia la littérature et l'art en général. Passionnée par ce monde artificiel que les hommes créés, comme des rêves devenus réalité, elle se plongeait dans la lecture et, lorsqu'elle le découvert, dans le cinéma. Elle vivait dans un autre monde, elle idéalisait tout. Naïve, candide, elle croyait à tout ce qu'on lui disait, sans dissocier réellement le bien du mal. Elle croyait au mariage, à cette institution prônée par tous, elle croyait au grand amour, à la vie de couple. Elle croyait aux sourires des autres, ces façades qu'elle ne s'expliquait pas. Des illusions dans un pays de miroirs. C'était tout ce qu'ils étaient, et elle ne le voyait pas.

Elle tomba sous le charme d'un jeune étudiant qu'elle aperçut, un jour, à la bibliothèque. Il était plus âgé qu'elle et il étudiait l'économie. Elle apprit qu'il donnait des cours de soutien. Elle sauta sur l'occasion. Elle fit illusion le premier cours. Mais il n'en fallut pas plus pour qu'il découvre la supercherie. Charmé par la spontanéité de Zooey qui niait tout en bloc et s'inventait des théories économiques inimaginables, il l'invita à boire un café. Deux ans plus tard, lorsqu'elle reçu son diplôme, il l'a demanda en mariage. Quelques mois plus tard, elle devenait Madame Cooper. Elle emménagea avec son mari à Brooklyn. Enfin pouvait commencer la vie dont elle avait toujours rêvé.

Installés dans un duplex. Un quartier aisé. Les premiers mois furent une bénédiction. Un rêve qui s'effrita avec le temps. Il rentrait de plus en plus tard. Elle était de plus en plus seule. Il croyait en la vie. Froide. Pure. La réalité et ses coins pointus. Elle rêvait, voyait un monde coloré, embrumé de parfums. Ils se rendaient compte qu'ils n'avaient rien en commun, mais le mal était fait. Alors ils préféraient se détruire plutôt que de se quitter. Un amour passionnel. Un jour ils s'aimaient. Ils passaient la journée dans les bras l'un de l'autre. Le lendemain, ils se détestaient. Froids, détachés. Plus rien ne comptait. Ils s'éloignaient pour se rapprocher. C'était plus qu'un jeu. C'était une illusion, sans règles. Un miroir qui se brisait. Un rêve qui s'éparpillait et déchirait la nuit. Et déchirait leur être.

Elle s'ennuyait. Il ne voulait pas qu'elle travaille. Alors elle dégota un emploi en cachette. Elle livrait des chroniques au Times, sous un pseudonyme, bien entendu. C'était son petit secret. Elle faisait attention à bien cacher sa machine à écrire. Elle faisait attention à ne jamais mentionner ses articles. Une vie secrète. Une vie cachée. Insoupçonnable et insoupçonnée, peut-être qu'elle aurait aimé être découverte. Juste pour qu'il sache de quoi elle était capable. Mais il n'en fut rien. Et ses tentatives de tout dévoiler restèrent vaines. Elle filait les jours, elle tissait les heures, elle comptait les secondes. Sa vie n'était plus qu'un tas de poussière dans un sablier. Tout n'était qu'une question de temps.

Elle possédait quelques amies. Mais elle ne se sentait pas à l'aise. Elle savait que tout n'était qu'artifice et hypocrisie. Elle savait que rien n'était vrai. Mensonge véridique. Avec elles tout n'était qu'apparence. Et puis elle rencontra Mary. Et puis elle rencontra Raphaël. Et puis sa vie bascula. Un baiser. Rapide. Furtif. Il s'effaçait de lui même. Une moue, une gêne, le manque de ses lèvres. Mary fut assassinée. Raphaël, seul, désespéré. Elle fit de lui sa nouvelle mission. Elle voulait le reconstruire. L'aider. Mais leur amitié était ambigüe. Lorsqu'il caressait sa peau, elle frissonnait avant de se retirer. Lorsqu'il tentait de l'embrasser, elle attendait jusqu'au dernier moment avant de tourner la tête. Elle avait des principes, une barrière de verre. Mais elle allait céder. Elle savait qu'elle allait céder. Ce n'était qu'une question de temps.